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La lettre du Guide du Ciel

N° 174 | 3 mai 2021

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Guillaume Cannat

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Lingas SGR
L’arbre de Paul épouse la pente d’une colline du Lingas (Réserve internationale de ciel étoilé du parc national des Cévennes) et ses longues branches flirtent avec les hautes herbes. À la fin des nuits printanières, les étoiles du Sagittaire et du cœur de la Voie lactée clignotent entre ses feuilles encore jeunes. Technique : boîtier Sony A7III défiltré avec un objectif Zeiss de 55 mm à 1,8 diaphragmé à 5 ; 250 secondes de pose (50 fois 5 secondes sans entraînement) avec une sensibilité poussée à 5 000 ISO au développement. Les poses sont additionnées avec le logiciel Starry Landscape Stacker et le traitement est effectué avec Lightroom et Photoshop.
© Guillaume Cannat


UN HÊTRE SOLITAIRE DEVANT LA VOIE LACTÉE

Levés à une heure du matin, nous marchons sur le Lingas au cœur de la nuit. Le mince trait de lumière qui nous guide fait luire les herbes humides dressées vers les étoiles. Voilà les blocs de granit qui nous servent de repère : il faut encore avancer en tournant légèrement vers Cassiopée pour atteindre le hêtre solitaire et majestueux que nous visons. La silhouette hiératique de l’arbre épouse la pente de la colline et ondule lentement au rythme de ses rêves. Un peu essoufflé, je pose à terre mon matériel photographique et j’enlève les vêtements qui m’étouffent. Antarès scintille vaillamment au sud, jouant avec la cime arrondie de l’arbre ; sur sa gauche, le cœur de la Voie lactée jette un long cordon d’étoiles vers le nord. La sueur perle encore à mon front lorsque les premières images s’accumulent, mais la fraîcheur gagne et je ramasse mon manteau juste au moment où Jupiter éveille les herbes qui hérissent la colline. Le Scorpion s’est glissé à droite du hêtre, entraînant le centre de la galaxie derrière un fouillis de jeunes feuilles, et, sur la gauche, l’éclat jovien est amplifié par un voile de cirrus. Le monde s’équilibre un court instant et un sourire allonge mes lèvres, mais déjà l’aube bouscule la nuit faisant gonfler un halo clair au nord-est. Une hulotte nous survole en silence à deux reprises. Je vois son corps se découper devant la clarté du ciel étoilé puis je l’entends ponctuer l’obscurité mourante des échos de son chant inquiétant. Le ciel s’emplit de lumière et je replie mes envies. Au retour, le brouillard s’est emparé des combes et nous cheminons à l’aveugle en suivant prudemment la ligne de plus grande pente : j’ai l’impression de m’enfoncer dans un rêve les yeux ouverts.

La première partie de ce texte rédigé le 23 mai 2020 a été publiée dans Le Ciel à l’œil nu en 2021.

 

« SECRETS » DE FABRICATION

Réaliser une image comme celle qui ouvre cette lettre demande un peu de temps et de minutie, mais les appareils photographiques numériques et les logiciels disponibles à présent facilitent beaucoup le travail. Je ne vais pas rentrer dans le détail du choix d’un boîtier pour la photographie du ciel étoilé car les principaux fabricants en proposent tous de très bons désormais. J’utilise des boîtiers et des objectifs Nikon depuis plus de quarante ans et j’ai progressivement glissé vers Sony car leurs boîtiers de la série « Alpha 7 » ont été les premiers à permettre la réalisation d’images de qualité dans les très faibles conditions de luminosité que l’on rencontre en astronomie. Pour cette image, j’ai utilisé un boîtier Sony Alpha 7III défiltré par Richard Galli, ce qui accroît la sensibilité du capteur et permet notamment de révéler plus efficacement les nébuleuses.

Lingas SGR
Une image brute du capteur du Sony A7III : elle semble très sombre, mais tout est là et il suffit de pousser un peu l’exposition au développement pour la révéler.

La plus haute sensibilité nominale du capteur du A7III est de 800 ISO, mais il est ensuite possible de la pousser fortement lors du développement sans augmenter significativement le bruit ni dégrader les détails. J’ai photographié avec un objectif Zeiss de 55 mm à 1,8 diaphragmé à 5 pour avoir suffisamment de profondeur de champ afin que l’arbre soit net, du coup les images originales apparaissent très sombres, mais il suffit de pousser un peu l’exposition pour voir surgir les différents éléments du paysage et du ciel.

Lingas SGR
La même image avec la sensibilité poussée à l’équivalent de 5 000 ISO.

Même avec un excellent capteur numérique comme celui du Sony A7III, il est nécessaire de poser suffisamment longtemps pour révéler la splendeur de la Voie lactée. Le problème est le suivant : la Terre tourne ! Donc si le temps de pose augmente, les étoiles se déplacent et au lieu d’apparaître ponctuelles elles tracent des tirets d’autant plus longs que la pose est longue. Il y a deux manières de faire des poses longues en conservant des étoiles bien ponctuelles. La première est d’installer le boîtier sur une monture équatoriale motorisée qui va compenser la rotation de la Terre. Mais l’avant-plan terrestre est alors d’autant plus flou/bougé qu’il est proche et que la pose est longue. L’autre problème est qu’il faut se déplacer sur le terrain avec une monture équatoriale motorisée et de quoi l’alimenter, ce qui peut être lourd et encombrant, et qu’il faut mettre la monture en station (un axe parallèle à l’axe de la Terre) chaque fois que l’on change de site.

C’est la méthode que j’ai utilisé durant des décennies et que j’utilise encore pour certaines images, mais, pour les paysages célestes, je privilégie depuis quelques années une méthode bien plus simple et légère qui consiste à accumuler plusieurs dizaines d’images à très court temps de pose et à les additionner ensuite avec un logiciel spécialisé. L’avantage avec cette méthode est que le premier plan reste parfaitement net puisque l’appareil ne bouge pas d’une image à l’autre. L’autre avantage, c’est que le matériel à transporter se résume essentiellement à un boîtier, un objectif et un trépied !

Pour cette image, j’ai réalisé des poses de 5 secondes avec l'objectif de 55 mm de focale. C’est un tout petit peu trop long pour la précision du capteur du A7III car, en agrandissant fortement, les étoiles apparaissent légèrement ovalisées. Il faudrait donc faire des poses individuelles encore plus courtes, de l’ordre de 3 ou 4 secondes, pour que les étoiles soient parfaitement ponctuelles ce qui est toujours plus satisfaisant pour l’œil.

Lingas SGR
Starry Landscape Stacker et Sequator tracent un masque pour séparer le ciel de l’avant-plan.

Une fois les images enregistrées sur la carte mémoire du boîtier, il faut les transférer sur un ordinateur et les additionner avec le logiciel Starry Landscape Stacker (SLS) si vous utilisez un Mac ou Sequator si vous utilisez un PC. Ces deux logiciels fonctionnent de la même façon : ils vous aident à définir un masque pour délimiter très précisément les zones de l’image qui correspondent au ciel étoilé et celles qui font partie du paysage terrestre. Cette étape est automatique et très précise avec une ligne d’horizon lointaine et tranchée, mais elle doit être patiemment fignolée « à la main » lorsque la découpe de l’avant-plan est plus complexe, comme un arbre par exemple… Ensuite, le logiciel s’occupe du ciel et de l’horizon de façon indépendante. Sur le ciel, le logiciel tient compte de la focale et du temps total de prise de vues pour recaler et additionner les positions successives des étoiles et le résultat est d’une qualité bien supérieure à celle d’une image seule.

Lingas SGR
Gros plan à 300 % sur la région de la nébuleuse de la Lagune : à gauche, une seule image brute et, à droite, l’addition de 50 images brutes avec SLS.

Il faut alors ouvrir l’image obtenue dans un logiciel comme Lightroom et/ou Photoshop et lui appliquer quelques réglages de luminosité, clarté, contraste, balance des couleurs, etc. Et voilà !

Lingas SGR

Un dernier conseil : lorsque l’image sur laquelle vous travaillez fait partie d’une mosaïque de plusieurs champs, c'est le cas de celle-ci qui ne couvre qu'un seul des 12 champs d'une très grande mosaïque, je vous conseille de préparer chaque champ en additionnant ses poses dans SLS ou Sequator, puis d’assembler la mosaïque et seulement après de commencer à appliquer les réglages que vous jugerez nécessaires.


L’HEUREUSCOPE DE L’ASTRONOME D’EN FACE

Lors d’une longue et agréable discussion covidienne avec mon ami Marc Buonomo, astronome avec lequel j’ai parcouru le monde à la poursuite des éclipses de Soleil et de Lune durant plusieurs décennies, il m’a parlé de l’« heureuscope » qu’il affiche dans son village depuis une paire de mois et j’ai été séduit par son côté décalé et souriant. J’ai décidé, avec son accord amical, de l’afficher également dans ma lettre et je lui laisse la parole pour qu’il vous le présente :

« Je ne sais pas pour vous, mais pour moi c’est clair, la lecture de la page 10 du Guide du Ciel a changé ma vie ! Avant, j’étais Capricorne. Enfin, je veux dire, mon signe zodiacal était le Capricorne. Et voilà qu’en découvrant le découpage réel des constellations du zodiaque le long de l’écliptique je me retrouve Sagittaire ! Et ma petite fille née un 12 juillet est Gémeaux au lieu de Cancer !

Le Soleil, cet astre facétieux et inconstant – on le savait déjà avec la météo ! – transite plus ou moins longtemps devant chaque constellation du zodiaque et il y a parfois jusqu’à deux signes d’écart entre la réalité observationnelle et les signes astrologiques ; sans parler de la dérive engendrée par la précession des équinoxes, à vous de fouiller la question si cela vous intrigue… En plus, fin-novembre et début-décembre, le Soleil passe dans Ophiuchus – le Serpentaire – un nouveau venu à mes yeux !

Bref, le 14 mai, le Soleil entrera dans la constellation du Taureau et il y restera jusqu’au 21 juin. Ce Soleil plein d’énergie et d’impromptu m’incite à vous proposer chaque mois un HEUREUSCOPE savamment dosé d’humour et d’énergie positive, et le Taureau ouvre le bal ! »

MAI EST LE MOIS DU TAUREAU

Taureau : faites l’autruche en patientant jusqu’au 14 à midi, ça vous changera !
Gémeaux : le Soleil se couche de plus en plus tard, mais faites comme vous voulez !
Cancer : le ski de printemps n’est pas votre truc, n’insistez pas ! Pensez déjà au pédalo...
Lion : attention à ce qui cloche autour de vous… Évitez dong de devenir ding !
Vierge : vos dernières hypothèses d’avenir ont fait plouf. Restez présent-e !
Balance : qui mieux que vous sait qu’il faut bien répartir ses œufs ? Ne faites pas la poule !
Scorpion : ne faites pas confiance à un lion, même pour traverser la rivière… Faites du tri !
Ophiuchus/ Serpentaire : votre petit côté rapace doit se satisfaire des jolis restes. Observez et plongez !
Sagittaire : sortez votre tempérament fonceur. Écrasez follement les obstacles !
Capricorne : « Hélas, en avant » est la devise de Jankélévitch. Oubliez le « hélas » !
Verseau : soyez raisonnablement bordélique. Si c’est déjà le cas, augmentez !
Poissons : le passé est passé. Le futur est déjà là. Regardez-vous entre deux miroirs !
Bélier : ne faites rien de plus en mai jusqu’au 14, attendez que ça passe !


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